L’échec au Mali n’est pas militaire: c’est un échec politique

 

Robin Poulton est chercheur spécialisé sur la sécurité et le développement en Afrique. Son dernier livre: Paroles sur les Crises au Mali et les Limites de la Démocratie - Expériences et Analyses pour favoriser la Paix.

Février 2022

Véhicule de l’Opération Barkhane en plein Sahel.

L’échec au Mali n’est pas militaire: c’est un échec politique

Le 18 février 2022 nous avons vu des soldats français expulsés du Mali par le régime militaire “de transition” présidé par le colonel Assimi Goita. Symbole d’un échec politique français qui n’a rien d’un échec militaire.

Opération Barkhane n’a pas échoué. Les soldats français protégent les intérêts économiques de la France: d’abord la protection de l’uranium au Niger; ensuite pour garantir à la France et à ses alliés le contrôle du pétrole et du gaz au Tchad, au Niger, au Mali, en Algérie. Les soldats de Barkhane bloquent l’accès aux puits de pétrole des Russes, des Chinois, des Indiens, des Turques ….. Les Français ne sont pas là pour défendre le Mali.

Et Barkhane n’a pas échoué dans sa lutte contre le terrorisme? Encore là, l’échec n’est pas militaire. L’OTAN se serve des terroristes, qui circulent dans des Toyotas achetés par les Saoudiens et qui consomment des millions de litres de carburant fournis par les Algériens. Les leaders des soi-disant djihadistes sont agents des services secrets militaires en Algérie, alliée de l’OTAN. Ceux qui se réclamant d’Al Qaida, s’enrichissent de la contrebande en cigarettes, en haschich maroccain, en cocaïne colombienne et des rançons du kidnapping. Pas très religieux, tout cela! Et les munitions? Qui pense que les Américains et les Français avec leurs satellites, sont incapables de bloquer les convois de munitions qui alimentent la terreur au Sahel? Cela sent la collusion.

L’approche militaire à la lutte contre le terrorisme; terrain trop vaste, bases très dispersées. Mais la solution ne peut être que politique. Elle se sera jamais militaire.

Il y a plus de dix ans, le Mali avait demandé l’aide de la France pour lutter contre le trafic de cocaine qui finance les terroristes. Le président Sarkozy avant dit “non” au président Touré, qui refusait de parrainer un retour massif des Maliens vivant en France. Paris laissait comprendre que le passage de la cocaïne colombienne par la Guinée Bissau (dont les haut cadres avaient tous été rachetés par le Cartel Medellin) ne dérangeait pas. C’est cette négligeance politique qui a saboté les soldats français Barkhane dans leur mission anti-terroriste. Et qui a saboté l’Etat malien. Bruxelles est complicit, Washington également.

Qui sont ces terroristes? Confrontés par l’apauvrissement des campagnes et par le rechauffement climatique, la jeunesse malienne est en crise du dèsespoir. Si tu n’as rien et qu’un Arabe vient te proposer €10 par jour et une Kalachnikov, tu le suivras. L’Arabe va rajouter un peu de propagande islamisante comme justification, même si tu n’y comprends pas grand’ chose. Ce qui importe: l’Algérien t’a donné quelques sous, avec un fusil de guerre qui te procure un statut social. Jadis mendiant sans emploi et sans éducation, tu feras peur dèsormais à tes oncles et aux riches commerçants qui te méprisaient. Mieux vaut parler arabe que français au Sahel, puisque la France ne t’a rien apporté.

Le Pentagone utilise “la terreur au Sahara” pour justifier le budget AFRICOM, son arme africaine. Ses alliés sont les militaires français et africains. En moins d’un an, cinq pays sahéliens ont subi un coup d’État, donc quatre anciennes colonies françaises: Tchad, Burkina Faso, Mali, Guinée …. et Soudan – ce que l’ONU appelle “une épidémie de coups.” Ces putschistes sont issus des élites, sortis des académies militaires prestigieuses et souvent formés par la France et les USA. Militaires ou civils, la Francophonie est une affaire d’élites.

La mission de l’AFRICOM: contrôler l’accès aux ressources naturelles africaines.

L’échec politique française contre le terrorisme égalise l’absence d’une politique à long terme pour tirer profit des liens entre Francophones. La France a négligé l’éducation et la pauvreté dans ses ex-colonies au Sahel. Un ami colonel français observa que l’assistance financière et technique annuelle offerte par la France au Mali égalait le coût d’un échangeur construit dans son village normand. “La signification du Mali pour la France vaut un pont …. c’est-à-dire, rien!”


Paris a toujours considéré l’Afrique comme une vache-à-lait: les arachides du Sénégal nourissent nos porcs; le coton du Mali alimente nos usines de textiles; l’uranium du Niger fournit notre énergie; les plantations au Cameroun et en Côte d’Ivoire assurent aux Français leur café matinal et le chocolat chaud de nos enfants. Les paysans africains souffrent des aléas climatiques pendant que ces commerces procurent le confort de la France et la prosperité des élites africaines: ces hommes politiques (rarement des femmes) qui assurent les bénéfices aux entreprises françaises nommées Bouygues, Bolloré, Total, EDF, Orange, Bel, Rougier, Areva, CFAO et tant d’autres qui gagnent de 2 à 5% sur les contrats en France, mais qui avalent des marges de 20% sur les contrats en Afrique.

Les paysans sahéliens sont mal-nourris mais la France obtient ses matières premières a bon prix, laissant pour compte le petit peuple. Les élites francophones aux diplômes universitaires de la France ou des Etats Unis, ont creusé une fosse de plus en plus profonde entre les villes et les campagnes. La “démocratie” est devenue tromperie. La “Francophonie” ne concerne que les universitaires. Les élus intègrent la vie urbaine, abandonnant les paysans et éleveurs qui doivent composer avec traficants et jihadistes. Les soldats de Barkhane et les peuples de l’Afrique sont tous victimes de l’échec de la politique française et européenne. Le résultat est le sous-développement de l’Afrique et une aliénation des Africains. Adieu, Barkhane!